Le travail hybride, vaste sujet qui pose un dilemme : faut-il reproduire un modèle existant ou construire une organisation adaptée à ses réalités spécifiques ? Le 11 mars dernier, Stéphane Théry, Responsable projet et programme de labellisation chez Incitu, a animé un webinaire afin de proposer des retours d’expérience et une approche pragmatique sur l’hybridation du travail. Cet échange a réuni Caroline Diard, Professeur associé en Droit des Affaires & Management des Ressources Humaines à la Toulouse Business School, Jean-Baptiste Jacquemin, Directeur Général BeLux France et Suisse, et Nicolas Cochard, Directeur R&D du groupe Kardham. Morceaux choisis.
Le télétravail est passé de 4% à 22% en 5 ans
Pour débuter le webinaire, Stéphane Théry a invité les trois intervenants à dresser un état des lieux du travail hybride, chacun sur son périmètre.
Caroline Diard a souhaité souligner l’évolution avant et après la crise du COVID, et la pérennisation du télétravail qui est passé de 4% en 2019 à 22% aujourd’hui*. Selon elle, il y a une « forme d’acculturation au travail hybride qui passe par la modification de la relation managériale autour de 3 dimensions : autonomie, confiance, contrôle. Ces 3 dimensions ont énormément évolué pendant ces 5 années ».
Du point de vue de Nicolas Cochard, la question qui doit se poser est : « A quoi sert-il de venir sur un lieu de travail ? ». Il voit dans le contexte actuel une opportunité de réunir 3 éléments qui permettent un travail efficace : le travail individuel, le collectif, et la vocation sociale des lieux de travail.
Quant à Jean-Baptiste Jacquemin, il constate que les entreprises sont de plus en plus enclines à créer leur propre modèle de travail hybride et à cesser de regarder ce qui se fait chez les autres.
Des risques émergent, liés au travail hybride
Caroline Diard évoque une insuffisance des données scientifiques à l’heure actuelle mais soulignent que des risques émergent autour du travail hybride, et notamment la croissance de l’amplitude horaire, la perturbation des rythmes, l’impact sur l’organisation familiale, la hausse des exigences de disponibilités, mais aussi des formes de harcèlement, une hyper connectivité, du stress, de la solitude, un sentiment d’isolement. Elle évoque le risque d’apparition de la notion de « qualité empêchée ». Il s’agit du manque de latitude décisionnelle pour agir que peut ressentir le collaborateur et qui se traduit par une difficulté à gérer des priorités, à satisfaire des interlocuteurs, des injonctions contradictoires. « Le télétravailleur va se laisser déborder, il ne va pas ressentir la sensation du travail bien fait. Cela va le soumettre à une frustration et conduire à son désengagement ».
Fuir les effets de mode et bannir le copié-collé !
Stéphane Théry soulève ensuite l’importance de poser un diagnostic pour permettre aux entreprises de mettre en place une organisation adaptée, d’éviter « le copié/collé ».
Nicolas Cochard constate en effet que « beaucoup d’entreprises se sont laissé happer par une tendance uniforme alors qu’il existe autant de travail hybride que d’organisations ». Il conseille de « penser le travail », de se demander « comment travaille-t-on réellement dans notre entreprise ? ». Selon lui, « si on est dans le dogme, dans l’idéologie, ça ne peut pas fonctionner ». Il préconise 3 étapes dans cette démarche de diagnostic :
Nicolas Cochard constate en effet que « beaucoup d’entreprises se sont laissé happer par une tendance uniforme alors qu’il existe autant de travail hybride que d’organisations ». Il conseille de « penser le travail », de se demander « comment travaille-t-on réellement dans notre entreprise ? ». Selon lui, « si on est dans le dogme, dans l’idéologie, ça ne peut pas fonctionner ». Il préconise 3 étapes dans cette démarche de diagnostic :
- Observer le travail, recueillir les données ;
- Prendre en compte la culture organisationnelle ;
- Aller recueillir la parole, le témoignage des collaborateurs.
Jean-Baptiste Jacquemin, pour sa part, constate que beaucoup de choses ont été mises en place en faveur du travail hybride en termes d’outils et d’espace mais souligne que la question de l’usage est bien plus importante. Il invite les organisations à se demander « Que va-t-on faire de tout cela ? » et d’arrêter de délaisser les questions de l’usage, de l’humain, et du comportemental.
L’acte managérial au cœur du réacteur
« Quand les gens sont sur site, qu’est-ce que le manager propose comme valeur ajoutée dans la relation de travail ? » interroge Nicolas Cochard. Il défend l’idée qu’un collaborateur doit avoir le sentiment que « ça valait le coup de venir au bureau ». Pour cela, l’acte managérial peut passer par : des idées précises (ordre du jour, etc.) et la préparation d’un espace de travail qui se prête le mieux à la réunion. Selon lui, il est urgent de redonner des lettres de noblesse au rôle managérial.
Pour Caroline Diard, il est utile de soigner la dynamique de groupe, de construire une vraie culture d’entreprise autour du travail hybride et cela est du ressort du manager. Notre intervenante observe également que le télétravail a un impact sur la réponse de postulants aux offres d’emploi, sur la compétitivité et l’attractivité, la fidélisation, ajoutant que « L’hybridation est un élément de la marque employeur et cela se mesure ».
Elle souligne aussi la possibilité de diagnostiquer les compétences par le biais d’un état des lieux, de fiches de poste, d’entretiens d’évaluation, de formation, de gestion des carrières : « Si on observe des écarts entre l’état des lieux et les besoins, un diagnostic sera le bienvenu » complète-t-elle.
Anticiper, adapter, évoluer... et diagnostiquer !
Stéphane Théry invite ensuite les intervenants à partager leurs bonnes pratiques autour du diagnostic, afin de favoriser une amélioration continue.
Jean-Baptiste Jacquemin entrevoit une grande opportunité qui s’ouvre de « rendre le travail plus humain ». Sa prescription est tridimensionnelle : observer le besoin individuel, ce dont le service a besoin, puis s’attacher à un besoin plus « macro » de l’entreprise. Il insiste sur la nécessité d’analyser les 3 éléments pour sortir du rapport de force actuel dans lequel la demande est très individuelle autour du travail hybride et pas assez organisationnelle. Il préconise de l’agilité et l’adoption par les managers et RH d’un triptyque « anticiper, adapter, savoir évoluer ».
Nicolas Cochard partage une « bonne pratique évidente et peu utilisée : ne pas se contenter de collecter des données et ne pas faire des diagnostics uniquement lors des projets de transformation ». Il suggère de recueillir des infos chaque année dans un processus d’amélioration continue, de diagnostic récurrent.
L’hybridation n’est plus une tendance, c’est une nécessité
Pour conclure, Stéphane Théry pose la question de l’avenir de cette organisation hybride du travail.
A cela, Jean-Baptiste Jacquemin répond que ce modèle « n’est plus une tendance mais une nécessité » qui sous-entend de créer un écosystème différent en intégrant davantage de lieux en dehors du logement et du bureau, et des lieux qui soient polyvalents.
Nicolas Cochard se demande sur quoi se fondent les entreprises qui reviennent en arrière en matière de télétravail. Il concède toutefois que s’il n’y a pas de réflexion, l’instauration du travail hybride ne suffit pas : « Il faut une vision émancipatrice et non pas aliénante ».
Caroline Diard conclut en partageant son sentiment que nous ne reviendrons pas en arrière : « Nous sommes face à une recherche de sens mais aussi de conciliation et d’imbrication des différents temps de vie dans le but d’améliorer la vie des collaborateurs ».
* Source : Insee
Pour réécouter les témoignages et retours d’expérience de nos experts :
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