Le tiers-lieu quèsaco ?
Ni maison ni bureau, le tiers-lieu c’est comme un espace de travail entre les deux. “Au départ, précise Dominique Valentin, c’est un lieu que l’on a dérivé de sa fonction originelle pour répondre à un besoin original“. Ainsi, on retrouve des tiers-lieux implantés dans de grands appartements, dans des hangars industriels, des ateliers automobiles réaménagés et même dans d’anciennes chapelles ! Ils se déclinent en une multitude d’applications possibles selon leur destination : lieux culturels et d’innovation (fab labs) ou d’économie sociale et solidaire (repair cafés, ressourceries) et bien entendu espaces de coworking plus directement liés aux activités professionnelles. A vrai dire, un tiers-lieu ne se définit pas en lui-même mais par ce qui s’y trouve et ce que l’on en fait ! Il s’ouvre à chaque usage et évolue au fil des besoins de ses utilisateurs avec comme trait commun caractéristique le lien social.Le concept, d’abord apparu Outre-Atlantique au début des années 2000, est actuellement en plein essor avec 300% de croissance en 6 ans[1]. Autrefois prisé exclusivement par les startups du numérique, le coworking attire désormais les grands groupes qui y installent leurs équipes (IT, services de communication et de marketing) et de plus en plus d’entreprises qui recherchent de nouveaux leviers d’innovation et d’optimisation immobilière depuis la crise sanitaire. Qu’on se le dise, il existe bien un effet d’opportunité majeur pour les tiers-lieux dans le contexte actuel car nous ne travaillons plus aujourd’hui comme nous travaillions hier. Le télétravail est désormais privilégié dès lors que cela est possible et c’est bien comme alternative ou solution complémentaire au travail à domicile que le tiers-lieu présente un intérêt. Il offre à l’utilisateur la possibilité de télétravailler ailleurs que chez lui en changeant d’atmosphère de travail. S’il ne se confond pas avec un nouveau bureau, le tiers-lieu donne accès à un nouvelle manière de travailler, plus collaborative et plus flexible.
Les tiers-lieux, des espaces complémentaires au domicile pour l’exercice du télétravail
Espaces hybrides entre le domicile et le travail, les tiers-lieux apportent une réponse concrète aux problèmes posés par le travail à distance. Car malgré la multitude d’avantages qu’il présente, le télétravail notamment en full remote est difficilement viable sur le long terme, surtout quand les entreprises y ont recours de manière improvisée (sans stratégie de déploiement préalable). Parmi les nombreux bénéfices du travail en Tiers-lieux, il faut d’abord citer le fait de pouvoir dissocier vie privée et vie professionnelle, mais aussi la possibilité de sortir de l’isolement du domicile en rencontrant du monde, bref de créer (ou recréer) du lien social. Ils sont à la fois “un complément au domicile et une possibilité d’équité sociale” dans la mesure où tout le monde n’a pas la chance d’être équipé pour le télétravail à son domicile, rappelle Dominique Valentin.Sans compter que l’environnement de télétravail est un facteur clé de sa réussite. Le respect de conditions d’espace, d’aménagement, d’équipements, de santé et de sécurité permet aux collaborateurs d’exercer leurs activités de manière performante et durable. Le télétravail s’exerçant partout, il constitue une alternative pour travailler ailleurs dans les meilleures conditions et ainsi répondre aux besoins du collaborateur et de l’entreprise. La création du label WIWO Work In Work Out, destiné à valoriser les bonnes pratiques de déploiement du télétravail est née de cette réflexion autour des évolutions qui impactent la sphère du travail. Dans un souci d’équilibre entre performance économique et qualité de vie au travail, il intègre à son référentiel le tiers-lieu comme lieu de choix pour exercer le télétravail dans de bonnes conditions.
Conçus pour répondre aux usages des utilisateurs, les espaces de coworking mettent à leur disposition des équipements professionnels performants (bureau, wifi, imprimante, vidéo projecteur, salles de réunion) et des infrastructures de qualité pour se déplacer simplement avec son ordinateur portable. Le digital y occupant une part essentielle non seulement pour communiquer, travailler, mais aussi pour réserver des salles, ou imprimer des documents, la qualité de connexion y est généralement irréprochable et la sécurité des données garantie. Côté design et ergonomie, ils proposent des aménagement multifonctionnels et modulables avec des espaces variés en fonction des activités des utilisateurs : open spaces et/ou bureaux clos, phone boxes, espaces conviviaux avec canapés, en un mot de véritables lieux de vie où chacun peut se sentir comme chez lui. Voilà pour l’alpha et l’oméga de ce qu’on peut s’attendre à retrouver dans la plupart des tiers-lieux. Dans les tendances plus pointues, certains proposent pêle-mêle des standing desk, des bibliothèques ou des épiceries bio, d’autres ont meublé leurs locaux avec des cuisines équipées ou encore des baby-foot, selon les profils des fondateurs qui en profitent souvent pour y imprimer leur personnalité. Il faut enfin souligner que la notion de bien-être est très présente au sein de ces espaces de travail partagés, souvent pourvus de salle de sport ou de relaxation et parfois même de services de crèche. Des options avantageuses pour les utilisateurs avec à la clé un meilleur équilibre entre leurs vies professionnelles et personnelles.
Dès lors, le coworking pourrait s’avérer être le dispositif idéal pour les entreprises qui cherchent à enrichir leur stratégie de télétravail et à le pérenniser tout en relevant les défis qui lui sont inhérents, notamment en maintenant le lien entre les équipes et en leur apportant des bénéfices considérables en matière de qualité de vie au travail. Sans oublier la richesse des écosystèmes auxquels ces espaces facilitent l’accès, avec l’opportunité pour l’entreprise de nourrir ou d’incuber des projets par la confrontation d’idées, le partage des compétences et des connaissances, la possibilité de nouer des relations commerciales et partenariales ouvrant sur de nouvelles perspectives de développement.
Coworking & corpoworking, une demande croissante qui accompagne l’évolution des modes de travail
Les entreprises ont d’ailleurs compris tout l’intérêt d’intégrer ces lieux à leur stratégie de déploiement du télétravail en mixant travail à domicile et travail en tiers-lieu en fonction des besoins et des étapes de leurs projets. Ce recours au tiers-lieu quelques jours par semaine constitue qui plus est un motif de satisfaction pour les salariés qui souhaitent s’affranchir d’un déplacement pendulaire entre domicile et lieu de travail. Parmi les nouvelles tendances montantes, le corpoworking (contraction de « corporate » et de « coworking ») qui consiste à mettre à la disposition des collaborateurs un espace de travail partagé au sein des locaux d’une entreprise, est dérivé de ce constat. Comparables à des tiers lieux dans les locaux de l’entreprise, ces espaces servent de bureaux déportés à des entreprises tout en leur offrant des mutualisations possibles. Pour Dominique Valentin, ils sont bien le signe d’une accélération des mutations du travail qui s’achemine désormais vers un recours privilégié au Flex office, contre une organisation strictement présentielle en open-spaces (responsable de nombreux burn-out) qui a connu son âge d’or en France dans les années 90/2000. Aux open-spaces d’hier sont préférés aujourd’hui les “happen spaces“, des lieux configurés pour qu’il s’y passe quelque chose : espace d’accueil et de réception modulable permettant d’organiser divers événements tels que des séminaires, des rencontres business, ou encore des débats, des projections et des expositions. Ces espaces sont également utilisés comme lieux d’ancrage des marques qui cherchent à renforcer leur identité tout en ouvrant sur l’écosystème de l’entreprise.C’est à partir de ce pari sur l’évolution des pratiques de travail que Dominique Valentin a fondé le Relais d’Entreprises en 2012, un réseau national de tiers-lieux situés en milieu périurbain ou rural ayant pour vocation de rééquilibrer les territoires et de faire en sorte qu’ils deviennent des bassins de vie afin de favoriser l’attractivité territoriale grâce au développement économique local. Bien que la demande soit encore freinée par les mesures sanitaires, il observe des changements notables en termes de demande et de réception de la part des organisations qui rendent réalistes des projections de 2 à 3 jours de télétravail par semaine. Pourtant, le pari était loin d’être gagné au moment du lancement de son réseau. Il nous confie avoir eu la sensation de prêcher dans le désert, tant l’écho à sa proposition était faible au départ. Le projet est né chez son fondateur d’une prise de conscience sur la possibilité d’exercer la plupart de ses activités à distance alors qu’il était coincé dans les embouteillages de la métropole toulousaine, habitant en périphérie et travaillant dans le centre-ville. A cette époque, seuls le vélo et le covoiturage étaient envisagés comme alternatives à la question des mobilités et c’est seulement à partir de 2019 que la tendance s’est inversée (puis encore plus avec la crise sanitaire) rendant alors son message beaucoup plus audible : le télétravail ou “la non-mobilité comme réponse à l’enjeu des mobilités“. Un message qui se traduit à présent dans les chiffres : 300% de croissance des tiers-lieux en 6 ans.
Dans ces circonstances, tout porte à croire que les tiers-lieux préfigurent déjà les espaces de travail tels qu’ils existeront demain. C’est en tout cas ce qu’estime Dominique Valentin. La Covid-19 a été un accélérateur des mutations qui affectent le travail et il est peu probable qu’on fasse marche-arrière. D’autant que cette demande grandissante est l’expression d’une mutation plus profonde de notre rapport au travail dont l’ancien modèle (open-space avec culture du présentiel et management de contrôle) arrivait à son terme. En intégrant le télétravail dans leur organisation au long cours, les entreprises résolues à prendre le train en marche saisissent bien entendu l’opportunité financière de réduire leurs surfaces de bureau, mais anticipent aussi sur les évolutions futures du travail vers plus de nomadisme et de flexibilité du travail.
Les tiers-lieux, alternatives sociales au travail à domicile et réponse aux enjeux environnementaux
Pour les entreprises, l’enjeu est donc double : il s’agit à la fois de se transformer pour embrasser ces changements sociétaux dont chacun sait qu’ils sont irréversibles et de s’adapter aux désirs de flexibilité de leurs collaborateurs. Cela passe par des conditions de travail plus souples qui autorisent notamment le télétravail en permettant de réduire les trajets quotidiens, tout en étant plus ouvertes socialement et plus respectueuses de l’environnement. Partant de là, il est évident que les tiers-lieux s’affirment comme une solution incontournable pour accompagner ces changements.Privilégier une mobilité choisie proche du domicile, telle est la promesse du télétravail en tiers-lieu portée par les Relais d’Entreprises. Des espaces de travail répartis sur les territoires ruraux ou périurbains, connectés aux métropoles et à leurs bassins d’emploi (distances moyennes de 20 à 30 kms soit 20 mn) pour en faciliter l’accès aux actifs tout en maintenant le lien avec le siège de leur société. En investissant des “villes-villages”, l’objectif est de s’inscrire dans la logique de la “Ville du quart d’heure”, un concept créé par Carlos Moreno, spécialiste de la “Human Smart City” pour penser la ville durable. Son principe ? Trouver près de chez soi tout ce qui est essentiel à la vie : faire des courses, travailler, s’amuser, se cultiver, faire du sport, se soigner, etc. En combinant lui aussi plusieurs usages, le Tiers-lieu en est d’une certaine manière autant une composante qu’une incarnation à plus petite échelle. Quoi qu’il en soit, l’intérêt d’une telle organisation est évident : en se déplaçant moins loin et donc moins longtemps, il est possible de consacrer plus de temps aux activités utiles à son bien-être et à sa qualité de vie, sans parler des conséquences favorables pour l’environnement, le rééquilibrage des territoires et la revitalisation des territoires ruraux qui se parent d’une nouvelle attractivité. Une observation qui vaut également pour le télétravail à domicile puisqu’il favorise lui aussi l’exode urbain et permet par la même occasion de réduire les problèmes de la ville en matière de pollution de l’air, de coûts de la vie et de phénomènes de ghettos délétères pour le vivre-ensemble. Pour Dominique Valentin, cet exode urbain est une opportunité pour ceux qui travaillent, dorénavant “vivants des territoires qu’ils auront choisis et non pas habitants de territoire qu’ils auront subis“.
Cette capacité du télétravail (à domicile ou en tiers-lieu) à apporter des solutions aux problèmes sociétaux et environnementaux est une conviction forte pour ce dernier. Afin d’encourager les organisations à intégrer les Relais d’entreprises à leur dispositif, il a signé une convention avec EDF pour transformer les kilomètres non parcourus des collaborateurs et les litres de carburant non consommés en certificats d’économie d’énergie utilisables sous forme d’éco-chèques pour payer les loyers. Un échange de bons procédés qui inspirera peut-être d’autres initiatives vertueuses dans son sillage.
[1] Chiffres coworkingfrance.org